Un jour sans Keith
Arrivera le jour où, tournant le bouton
D’une télé, d’une radio, vous entendrez le nom
De celui que la mort viendra de vous priver
Comme pour vous punir de l’avoir trop aimé.
Honnissez cette seconde que vous redoutez tant,
Qui rôde et maraude et demeure en suspens,
Celle que vous mitonne ce fumier de temps
Et qui tranchera net entre après et avant.
Que serez-vous sans Keith, qu’une bande d’orphelins
De Londres à New York, minés par le chagrin ?
Que fera le Jaguar, coupé de son jumeau,
Car qu’est-ce qu’un Glimmer Twin sans son alter ego ?
Sans le Mystère Richards, ce dandy, ce poseur,
Que deviendra le blues, peut-il vivre sans cœur ?
Que deviendra le rock dépouillé de son âme ?
Un coutelas sans manche auquel manquera la lame ?
Je vous vois hésiter, c’est on ne peut plus normal.
À quoi bon subsister dans un monde bancal,
Où le faiseur de riffs qui fut votre béquille
Ne sera même plus là pour faire danser les filles ?
Alors partez devant, ouvrez le dernier bal,
Keith vous pardonnera votre geste fatal.
Achetez un aller simple, c’est une solution,
Même sur la Blues Airline on trouve des promotions.
D’une télé, d’une radio, vous entendrez le nom
De celui que la mort viendra de vous priver
Comme pour vous punir de l’avoir trop aimé.
Honnissez cette seconde que vous redoutez tant,
Qui rôde et maraude et demeure en suspens,
Celle que vous mitonne ce fumier de temps
Et qui tranchera net entre après et avant.
Que serez-vous sans Keith, qu’une bande d’orphelins
De Londres à New York, minés par le chagrin ?
Que fera le Jaguar, coupé de son jumeau,
Car qu’est-ce qu’un Glimmer Twin sans son alter ego ?
Sans le Mystère Richards, ce dandy, ce poseur,
Que deviendra le blues, peut-il vivre sans cœur ?
Que deviendra le rock dépouillé de son âme ?
Un coutelas sans manche auquel manquera la lame ?
Je vous vois hésiter, c’est on ne peut plus normal.
À quoi bon subsister dans un monde bancal,
Où le faiseur de riffs qui fut votre béquille
Ne sera même plus là pour faire danser les filles ?
Alors partez devant, ouvrez le dernier bal,
Keith vous pardonnera votre geste fatal.
Achetez un aller simple, c’est une solution,
Même sur la Blues Airline on trouve des promotions.
Le jeune lion et la vieille lionne
Bien qu’elle eût échappé aux cages de Bouglione,
Le jeune lion en pinçait pour sa vieille lionne.
Avant de l’initier et d’en faire un chasseur
Elle avait eu une vie, des heurs et des malheurs,
Connu quelques amants et même pris mari
Dans une contrée sauvage appelée Picardie.
Là-bas vivaient des pauvres qui traînaient la savane,
Mais aussi des nantis, des fumeurs de havanes,
Cloîtrés, embourgeoisés, avares de largesses,
Qu’on croisait cependant le dimanche à la messe.
Les riches fauves d’Amiens, pour ne pas qu’on les snobe,
Donnaient au téléthon au nom de leur Lions club.
Ainsi allait l’ennui dans cette Picardie
Qui jalousait celui de madame Bovary,
Tout à la fois si proche et si loin de Paris
Où subsistaient encore des lions à la Kessel,
De sublimes prédateurs, dévoreurs de gazelles.
La vieille lionne rongeait son frein dans sa campagne,
Rêvant de légèreté, de rires et de champagne,
D’un jeune mâle vigoureux, qui feule et qui rugisse,
Doté de crocs si blancs, si menaçants, si lisses,
Que les crinières blanchies sous le harnais des ans
N’en diraient que du bien, jamais rien de méchant.
Ses lionceaux semblaient presque tirés d’affaire
Quand elle se décida à troquer leur vieux père
Pour un jeune dont les dents labouraient la terre,
Un fils de bonne lignée qui chercha à lui plaire.
Boudant ses convictions, elle commit l’adultère
Avec celui dont elle eut pu être la mère.
Bouffi de prétention, se disant philosophe,
Son outrecuidance ne manquant pas d’étoffe,
Il sut la déshabiller de ses oripeaux,
Fit un autodafé de ses us provinciaux.
Elle renonça à tout, aux lodens, aux Volvo,
Aux riches fragrances qui lui collaient à la peau.
Pour la satisfaire, il apprit à faire le beau.
Il l’enivra jusqu’à la soûler de bons mots,
Lui fit oublier l’ennui de son ancienne vie,
Gommer de sa mémoire le nom de Picardie.
Elle renia son âge, car comme un magicien,
Il la persuada qu’elle avait enfin le sien.
Perfusé d’arrogance, happé par la finance,
Il ferrailla, s’escrima et rencontra la chance,
Le succès, les honneurs, toutes ces fausses apparences
Qui, d’un gandin mondain, font un maître de danse.
Il fit sauter la banque sans jamais la braquer,
Amassa un magot qu’il sut faire fructifier,
Un trésor de guerre, de quoi lever une armée,
Entrer en politique au service d’un barbon
Qui se teignait la crinière comme Napoléon.
Le gandin devint son ministre de l’Économie,
Apprenant dans l’ombre, entre amis et ennemis,
Lesquels il faut trahir pour assouvir sa soif
Et de l’Histoire de France écrire un paragraphe.
Il se hissa si haut qu’il tutoya les dieux.
Sa vieille lionne, émue, n’en croyant pas ses yeux,
Versa un flot de larmes que Jupiter sécha,
Car dorénavant c’est ainsi qu’on l’appela.
Que retint le bas peuple de cette ascension
Qui en laissa plus d’un pantois d’admiration ?
Qu’un roi de la savane peut naître en Picardie
Et que parfois les vieilles lionnes glapissent au lit.
Le cheval et le rat
En raison de son nom, fruit de parents moqueurs,
Cheval avait tout pour devenir facteur.
Un destin ironique en fit un directeur
D’un bel établissement, drapé de sa rigueur,
Où cancres et génies côtoyaient le farceur
Tandis que le fort en « t’aime », songeur,
Alignait les poèmes contre le radiateur.
Protégé des misères d’un donjon de fromage,
Rat rêvait d’oisiveté, à l’abri des orages,
De vivre sans rien faire, aussi sage qu’une image,
Discret comme un grain de sable égaré sur une plage.
Hélas, il faut bien vivre, et Rat grattait le papier
Au service de Cheval qu’il appelait Destrier,
Uniquement en secret, par pure admiration
De son fier coursier, de son maître étalon.
Les choses allèrent ainsi des décennies durant
Chacun menant sa vie, chacun tenant son rang,
Jusqu’au jour où Cheval connut l’humiliation
De la part d’un archer en quête de promotion.
Il se cabrait pour rien, à la moindre réflexion,
Lui qui cavalièrement ignorait la passion.
Reniflant l’avanie Rat posa la question :
« Que vous a-t-on donc fait ? De quelle trahison
Êtes-vous donc l’objet pour vous faire tant de mouron ? »
Cheval, sans hennir, narra son sale tourment.
Un argousin, tombant sur son char mal garé,
À l’aide d’un sabot l’avait paralysé,
Juste là, devant, dans la rue, comme pour se venger
De n’être qu’un larbin contraint d’aller à pied.
« Un sabot de Denver, comme au Colorado,
Me voilà, voyez-vous, affublé d’un pied-bot ! »
« Payez la contredanse et tout s’arrangera,
Ça n’est vraiment pas grave », le rassura le Rat.
« C’est que sur mon permis, lui répondit Cheval,
Il ne me reste que deux points, mesurez-vous le mal ?
On va me les sucrer, histoire de m’humilier,
Et je devrais alors me déplacer à pied. »
« Mais moi j’ai tous mes points, lui dit le rongeur,
Et je me verrais bien devenir le chauffeur
D’un maître étalon, mesurez-vous l’honneur ? »
D’abord dubitatif, jaugeant cette solution,
Cheval, finalement, l’adopta par raison.
Et c’est depuis ce jour, à cause d’un sabot,
Qu’on les voit par les rues rouler allegretto,
Rat fier comme Artaban, et Cheval tout fringant.
Nouvelles Hébrides
J’ai connu et aimé un de ces archipels
Que lorsque j’étais encore enfant, je me rappelle,
On appelait avec mystère un pays chaud,
Par opposition à celui des esquimaux,
Une de ces terres australes au nom imprononçable
Faite de jungle et de pics, de lagons et de sable.
Les enfants allaient nus, drapés d’insouciance,
Ne pensant qu’au rire, au jeu et à la danse.
Les femmes indolentes découvrant l’étranger
N’osaient le regarder qu’avec les yeux baissés,
Les hommes, otages des siècles et de la coutume,
Buvaient le kava au lever de la lune,
Réunis en tribu au pied du grand banian
Ils écoutaient les vieux parler du temps longtemps.
Ils pêchaient, traquaient le cochon ou la roussette
Qu’ils transperçaient d’une lance ou d’une simple fléchette.
Les îles échappèrent au temps comme une savonnette
Jusqu’à ce que des Blancs débarqués d’une corvette,
Décident d’un trait de plume, d’un hochement de tête,
D’y élire domicile et d’en dompter les êtres.
La colonisation s’effectua à la trique,
Dans ce bel océan qu’on disait pacifique.
On y changea les dieux, les us et les coutumes
Et on força les femmes à porter un costume.
Elles durent voiler leurs seins sous des robes missionnaires,
On bannit la luxure, le stupre et l’adultère
Au nom d’une sainte Église qui n’avait de pureté
Qu’un dieu de pacotille soi-disant crucifié.
J’ai connu et aimé un de ces archipels
Que lorsque j’étais encore enfant, je me rappelle,
On appelait avec mystère un pays chaud,
Par opposition à celui des esquimaux.
Que lorsque j’étais encore enfant, je me rappelle,
On appelait avec mystère un pays chaud,
Par opposition à celui des esquimaux,
Une de ces terres australes au nom imprononçable
Faite de jungle et de pics, de lagons et de sable.
Les enfants allaient nus, drapés d’insouciance,
Ne pensant qu’au rire, au jeu et à la danse.
Les femmes indolentes découvrant l’étranger
N’osaient le regarder qu’avec les yeux baissés,
Les hommes, otages des siècles et de la coutume,
Buvaient le kava au lever de la lune,
Réunis en tribu au pied du grand banian
Ils écoutaient les vieux parler du temps longtemps.
Ils pêchaient, traquaient le cochon ou la roussette
Qu’ils transperçaient d’une lance ou d’une simple fléchette.
Les îles échappèrent au temps comme une savonnette
Jusqu’à ce que des Blancs débarqués d’une corvette,
Décident d’un trait de plume, d’un hochement de tête,
D’y élire domicile et d’en dompter les êtres.
La colonisation s’effectua à la trique,
Dans ce bel océan qu’on disait pacifique.
On y changea les dieux, les us et les coutumes
Et on força les femmes à porter un costume.
Elles durent voiler leurs seins sous des robes missionnaires,
On bannit la luxure, le stupre et l’adultère
Au nom d’une sainte Église qui n’avait de pureté
Qu’un dieu de pacotille soi-disant crucifié.
J’ai connu et aimé un de ces archipels
Que lorsque j’étais encore enfant, je me rappelle,
On appelait avec mystère un pays chaud,
Par opposition à celui des esquimaux.
Les diplomates
Vous apparaissez cernés de gardes du corps,
Sans eux il manquerait quelque chose au décor.
Ils sont grands, Ray Bannés, dotés d’une oreillette
Raccordée à un fil, comme pour les marionnettes.
Quand je vous observe via ma lucarne cathodique
Impeccables, avec vos manies et vos tics,
Fouler ces tapis rouges, entourés de larbins,
Gagner la tribune, car vous vous croyez tribuns,
Quand votre discours n’est qu’un vil baratin,
Je ne peux, bien sûr, que me demander en vain :
« Mais qu’ont-ils tous donc fait pour en arriver là ?
De quelles avanies faut-il se rendre coupable
Pour pénétrer ce cercle fermé de notables,
Pour braver ces sommets à l’air irrespirable
Et se croire somme toute encore fort fréquentables ? »
Vous vivez en nantis, aux frais de la princesse,
Caressez l’espoir que jamais cela ne cesse,
Car la soupe est très bonne, même si pour y goûter,
Attendu son odeur, il faut prendre un pince-nez.
Elle pue le dictateur, le despote, l’autocrate,
Mais rien ne vous atteint, vous êtes diplomates.
Vous êtes immunisés, vaccinés aux droits de l’Homme.
Quand une guerre éclate et que le canon tonne,
Quand des ensorcelés décident d’un génocide,
Quand on tue et qu’on viole, qu’on lapide et trucide
On vous voit cavaler comme des dératés
Après une paix qui recule plus vous avancez.
Quand les micros se tendent pour vous demander
Quand tout cela cessera, alors vous répondez,
Vous prenez un ton docte et gardez la mine grave
Connaissant la musique pour parler à des caves.
Les plus fats d’entre vous paradent à l’ONU,
La catin qui racole sur la Première avenue.
Savez-vous qu’elle est née, et ça c’est pathétique,
Avant l’explosion de la bombe atomique ?
Votre vocabulaire gavé de mots abscons
N’a qu’une unique fin : nous prendre pour des cons,
Mais nous savons fort bien, malgré nos airs de nuls
Qui sont entre mille les précieux ridicules.
Un cirque d’inutiles doublés de girouettes
Qui savent faire le beau mais surtout faire carpette,
Des danseurs tiers mondains, voilà ce que vous êtes,
Un ramassis de clowns qui se paient notre tête.
Je rêve d’un jour prochain où l’homme à l’oreillette,
Celui que vous prenez pour une marionnette,
Dégaine son calibre et vous prenne pour cible
Nous offrant ainsi un bonheur indicible.
Temps de misère...
Sur cette terre de misère écrasée de soleil,
Là où la violence ignore le sommeil,
Leïla et Yaffa tutoyaient le bonheur,
Se forgeant un avenir avec une belle ardeur.
Mais la folie guerrière se moque des jeunes filles
Et considère la mort comme une peccadille.
Des tirs de sniper, peut-être des balles perdues,
Semèrent l’horreur au beau milieu de la rue.
Allah et Yahvé, les faux frères, les faux culs,
Détournèrent le regard sans s’avouer vaincus.
Sur le poteau (inspiré de la chanson Daddy worked the pole, so Mama wouldn't have to du formidable Chuck Mead https://www.youtube.com/watch?v=C7vuoQIxowk)
Maman rêvait de grands espaces, de l’Idaho,
Mais vivotait à Toledo, dans l’Ohio.
Dans la vie, elle ne tournait pas autour du pot,
La preuve, elle dansait autour du poteau
Dans un de ces beuglants où elle s’exhibait nue,
En compagnie de filles qu’on dit de p’tite vertu.
Motards ou hommes d’affaires, tous adoraient son strip,
Lui glissaient des billets en effleurant son slip.
Elle y connut mon père, qui jouait du rock’n’roll
Et roulait des mécaniques dans sa jolie chignole.
L’était du genre prolo, vivait de p’tits boulots,
Et de rêves aussi, mais jamais de l’Idaho.
À ses moments perdus, pour s’embellir la vie,
Il grattait la guitare sous le nom de Willy.
Il épousa maman, qui délaissa le poteau
Pour s’occuper d’son homme, et bientôt du marmot.
Terminé les voyeurs, les dollars dans le slip,
Les beuglants, la musique, bye-bye, adieu le strip.
Dix-huit années passèrent, faites de petits bonheurs
Pour ce marmot et ses parents au grand cœur.
Willy s’était même dégoté un vrai boulot,
Dans la téléphonie, à planter des poteaux.
Quand il rentrait le soir, fourbu de sa journée,
Maman l’attendait en train de se trémousser
Ce qui l’avait poussé à lui d’mander sa main,
Ce que par chez nous on appelait le popotin.
Leur vie fila ainsi, à l’ombre d’un bonheur
Dont ils connaissaient toutes les saisons par cœur,
Jusqu’à ce que sonne l’heure cruelle de m’expédier
À l’université, faire mes humanités.
Je n’étais bon à rien, un tantinet fainéant,
Toutes les qualités pour dev’nir étudiant.
L’argent faisant défaut, plus fauchés que les blés,
Mes parents réfléchirent à une solution
Qui leur ferait gagner une montagne de pognon.
À part jouer d’la guitare et se déshabiller,
Ils ne savaient rien faire qui put en rapporter.
Mais maman n’étant jamais à court de ressources,
Elle se creusa la tête pour remplir sa bourse
Et eut l’idée géniale de reprendre la route,
De s’allier à Willy pour former une troupe.
Il reprit sa guitare et fourbit sa chignole
Acheta un blouson d’cuir pour faire du rock’n’roll
Pendant qu’en p’tite tenue, maman faisait son strip
Et que les spectateurs lui garnissaient son slip.
Alors que je glandais, l’argent rentrait à flot,
À un point tel que ma mère songea à nouveau
De plaquer l’Ohio pour rejoindre l’Idaho.
Si vous croisez une Cadillac Eldorado
Avec Willy’s Wild Strip show écrit en très gros,
Garée d’vant un beuglant d’où sourd du rock’n’roll,
Où se déhanche ma mère sapée en baby doll
Pendant que mon vieux père tripote sa vieille guitare,
De grâce, arrêtez-vous, même s’il se fait très tard.
Vous verrez des parents, unis par un poteau,
Payer l’université où glande le marmot.
Le ratier et le carcajou (inspiré de la chanson Gun Metal Grey de Chuck Mead https://www.youtube.com/watch?v=VM0BtLZBh18)
Un jeune ratier galeux, farceur, faraud, moqueur,
Aimait la nuit venue siroter le bonheur
En vidant les bouteilles d’alcool que son vieux père
Dissimulait en douce en cachette de sa mère.
La cabane de pêche, au bord de la rivière
Abritait ses secrets et gardait ses mystères.
Le jeune chien solitaire y passait ses soirées,
Sans Vendredi, mais en Robinson Crusoë.
Ainsi allait la vie de ce ratier pubère
Marchant à pas de géant dans ceux de son père.
Démuni d’ambition, de rêves et de passions,
Il se voyait vieillir, devenir mollasson,
Butiner le péché, la paresse, l’oisiveté,
Se laisser dériver sans jamais travailler,
Devenir Tom Sawyer, faire le joli cœur,
En espérant trouver une Becky Thatcher
Suffisamment douée pour de l’argent gagner
Et le laisser dormir toute la sainte journée.
Une nuit qu’il s’adonnait à son péché mignon,
Il entendit un bruit, au loin, dans les buissons.
On venait à pas lourds, faisant trembler la terre.
Il jeta sa bouteille, car si c’était son père,
Il ne voulait pas se faire botter le derrière.
Il alla se terrer du mieux qu’il savait faire
Et vit un carcajou, son pire ennemi sur terre,
De tous les animaux le plus craint, le plus fier,
Capable de mettre une meute de loups en déroute
Pour peu que ces derniers veuillent lui barrer la route.
Le glouton bedonnant était vêtu de noir,
Portait au cou une croix, d’une main un encensoir,
Sur l’épaule une pelle prolongée d’un long manche.
Le ratier reconnut le glouton du dimanche,
Qui disait la prière et faisait les sermons,
Séparait devant Dieu les méchants et les bons.
Ratier observa Carcajou creuser un trou,
Oblong, si profond, qu’il n’en voyait pas le bout.
La scène était dantesque, épouvantable, immonde,
Le trou béait, immense, pareil à une tombe.
Le glouton en sortit, marmonnant en latin.
Il s’épongea le front et reprit le chemin
Pour mieux réapparaître en tirant un grand sac
Lourd comme un âne mort, qu’il jeta tout à trac
Dans le fond du trou qu’il reboucha bientôt.
De ce qu’il avait vu, Ratier ne souffla mot
Et se félicita de vivre en solitaire.
Mais une nouvelle enfla et courut ventre à terre.
La femme du glouton avait fui le presbytère
Le même jour que le diacre, constituant un mystère.
On les chercha partout, ne les trouvant nulle part,
Carcajou, passant de la colère au cafard,
Joua les maris trompés et trompa le village
Où chacun adopta la conduite la plus sage.
Le ratier tint sa langue, il tenait à la vie.
Il pensa à se confesser, oui, mais à qui ?
Entre lui et Dieu, Carcajou faisait barrage.
Il était bien trop jeune pour mourir avant l’âge.
On a tous nos secrets, qu’il nous faut bien garder,
Au moins par indulgence jusqu’au soupir dernier.
C’est la meilleure façon de traverser la vie
Sans gêner son prochain, fut-il ton pire ennemi.