Je publie des nouvelles et des romans, pour des jeunes, adolescents ou adultes, dans lesquels l'histoire ne revêt qu'une importance secondaire. J'en mets pourtant une, d'histoire, que je mijote une petite éternité, que je bichonne, dorlote, fignole et polis, mais la littérature n'a qu'un rapport incertain avec les histoires.
L'immense Céline, auquel on ne la faisait pas, disait : "Des histoires ? Vous voulez des histoires ? Eh ben achetez le journal !" La littérature, c'est la musique des mots, tantôt leur swing tantôt leur langueur. Une littérature sans rythme, c'est un couteau sans manche auquel manquerait la lame. Je compose également des textes en anglais pour des bluesmen, comme Paul Personne et Nico Wayne Toussaint, et accessoirement des poèmes pour satisfaire mon goût de l'escroquerie. Et j'ai enfin une soixantaine de traductions de romans américains à mon actif.
Les interminables introductions de romans, ce que les gens savants appellent les prolégomènes, ça me donne des boutons. Je préfère entrer dans le sujet comme un soudard dans une place forte. La preuve par l'exemple :
Elvis ? Je l'ai connu. Surtout après sa mort, quand il se baguenaudait au petit bonheur la chance du Rio Grande aux Grands Lacs, au volant d'une Cadillac de Ville à vitres teintées, en compagnie de cette blonde peroxydée de Linda Kurtovitch. (Québec Hotel)
À l'écart des affreuses barres d'immeubles, l'allée des Becs-Roses n'est qu'une déclinaison de pavillons des années 20 que distinguent les uns des autres la couleur des persiennes et la géométrie des boîtes aux lettres. Sous un ciel gris pourri, une molle quiétude et les cyprès bercés d'un vent anémique évoquent davantage, malgré la hardiesse des nains de jardin, le cimetière de province que le parc Astérix. (Au Pas des Raquettes)
Quand son pusher lui avait dit : « T’en reprendras bien une petite cuillerée ? » Sid Vicelard, qui célébrait sa sortie de zonzon en grande pompe dans la Grosse Pomme, avait bêtement hoché la tête. Mini Punk avait eu les yeux plus grands que le ventre ; il en était clamsé d’indigestion. Il avait oublié qu’à l’époque fallait de sacrés talents de ventriloque pour faire parler la poudre. (Nobody's born to lose, Histoires pour Roberto)
À droite comme à gauche, à perte de vue, la route 466 n'offrait que l'image d'un long ruban rectiligne, anthracite et fumant, qui équatoriait l'infini désertique. Vers l'ouest, drapée d'un dégradé de bleus, la sierra flageolait mollement dans la touffeur que reflétaient le sable et la caillasse. L'air était si suffocant que les crotales y regardaient à deux fois avant d'aller serpenter à leurs petites affaires. (À l'Est d'Eddy)
Il y a une semaine, dans la blancheur cadavérique d'une chambre d'hôpital réservée aux VIP's, mon patron est mort des suites d'un suicide carabiné. (La Retraite aux Flambeaux)
Tupelo. Ce nom ébranle-t-il en vous quelque souvenir musical enfoui ? Non, pas vraiment, hein ? C'est pourtant dans cette bourgade du Mississippi, absente de la plupart des cartes, j'en conviens, que vit le jour un agité du pelvis qui fit beaucoup en son temps pour les consommations de Gomina et de beurre de cacahuète, le port du blouson de cuir, le déhanchement suggestif et la mièvrerie hukulélé made in Honolulu. (Tupelo Mississippi Flash)
Mes rapports avec les femmes ont été faussés dès ma naissance, à commencer par ceux avec celle qui m'a donné la vie. Et par ricochet la mort, car c'est là un aspect implacable des choses qu'on néglige trop souvent. (Crédit Revolver).
Susceptibles d'identifier un tueur ambidextre de type caucasien à partir d'un poil pubien inséré entre les incisives d'une transsexuelle burundaise décédée de suffocation dans l'exercice de ses pulsions, les trois techniciens de scènes de crime s'affairaient avec une pondération toute professionnelle sur la rive du lac Memphrémagog. (Maria Chape de Haine)
Baranger a su créer un univers singulier. Ses romans, bilan d’une génération, évoquent avec indulgence, amertume et humour la société des années d’après-guerre, avec la nostalgie et l'amour du blues et du rock’n’roll".
Claude Mesplèdes - Dictionnaire des Littératures, préface de Daniel Pennac